G H A T E A U

J)E PIERREFONDS

RUINES DU CHATEAU DE PIERREFONDS

-884 bis. ABBEVILLE. TYP. ET STÉR. A. LETAUX.

DESCRIPTION & HISTOIRE

DU CHATEAU

7\ 171

PAR

VIOLLET-LE-DUC

ARCHITECTE

ONZIEME ÉDITION

PARIS

Ve A. MOREL ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS

13, RUE BONAPARTE, 13

1883

DESCRIPTION ET HISTOIRE

DU CHATEAU

DE PIERREFONDS

La résidence de Pierrefonds, dont les ruines imposantes attiraient les regards, il y a dix ans, ne date que des premières années du xve siècle. Quelques auteurs prétendent qu’un ancien château s’élevait sur le coteau situé au-dessus du prieuré (église actuelle) ; mais cette opinion ne s’appuie sur aucune preuve, tandis que tout autour du château actuel et notamment vers sa partie méridionale, il a été trouvé un grand nombre de débris des xn° et xme siècles, qui indiquaient la présence, sur ce point, d’une construction assez importante. Il existe même à l’est du château que nous voyons aujourd’hui, les restes d’une poterne dont la construction ne saurait êlre postérieure à la fin du xne siècle. On peut donc admettre que l’ancien château occupait à peu près l’emplacement de celui qui fut rebâti par Louis d’Orléans. En l’an 835, le roi Charles le Chauve passa quelque temps dans une résidence voisine de Pierrrefonds, que l’on croit avoir été bâtie au Chêne Herbe- lot, et qui, dans les anciennes chroniques, est nommée Palla- dium casuum. Cette résidence ayant été détruite, les châte- lains du Chêne choisirent un lieu propre à être fortifié, et

0

DESCRIPTION ET HISTOIRE

assirent la nouvelle forteresse probablement sur le point occupé par le château actuel. Les biens de la maison du Chêne furent partagés enüe les seigneurs de Bérogne et de Pierrefonds. Nivelon Ier trouva les choses en cet état lorsqu’il hérita de la seigneurie de Pierrefonds, par suite de la mort de son père. Ce seigneur rebâtit l’église du prieuré (1) (paroisse actuelle du bourg), accrut singulièrement son domaine, et la seigneurie de Pierrefonds fut érigée en pairie. Du temps de Philippe- Auguste, le nombre des pairs, seigneurs de Pierrefonds, dé- passait soixante. Cette ancienne maison s’éteignit par la mort d’Agate de Pierrefonds, et les grands biens de cette dame furent divisés en trois parts : les Cherisis eurent la première, les Châtillon la seconde, et les descendants de Jean Ier de Pier- refonds, fils de Nivelon Ier, la troisième. Philippe-Auguste acheta de Nivelon, évêque de Soissons, en 1181, tous les droits seigneuriaux que ce prélat possédait par suite du partage, et il installa, pour régir le domaine, des prévôts qui exerçaient en même temps les fonctions de juges et de receveurs. En 1215, le roi abandonna aux religieux de Saint-Sulpice une grande partie des bâtiments du château, et augmenta leurs privilèges. Depuis lors, jusqu’aux dernières années du xive siè- cle, il n’est fait nulle mention du château et du domaine de Pierrefonds dans l’histoire.

En 1890, Louis, duc d’Orléans, frère du roi Charles VI, se prétendant frustré de ses droits de régent ou de tuteur des affaires du royaume, songea à prendre ses sûretés. Il fit bâîir dans son duché de Valois des places fortes importantes; il acquit le château de Coucy et le rebâtit en partie ; fit réparer ceux de Béthisy, de Crespv et de Montépilloy ; fit reconstruire

fl) Il ne reste des constructions de l'église bâtie par Nivelon que des soubasse- ments et une crypte. Nivelon 1er mourut vers 1072.

nu CHATEAU DE PfERREFOXDS.

7

ceiui de la Ferté-Milon, le petit château de Véz, le manoir de la Loge-Lambert, et, laissant les religieux de Saint-Sulpice jouir paisiblement des parties du vieux domaine de Pierrefonds, qui leur avaient été données, il résolut d’élever le magnifique château que l’on admire aujourd’hui.

La bonne assiette du lieu n’était pas la seule raison qui dût déterminer le choix du duc d’Orléans.

Si l’on jette les yeux sur la carte des environs de Corn- piègne, on voit que la forêt du même nom est environnée de tous côtés par des cours d’eau, qui sont: l’Oise, l’Aisne, et les deux petites rivières de Yandi et d’ Automne.

Pierrefonds, appuyé à la forêt vers le nord-ouest, se trou- vait ainsi commander un magnifique domaine, facile à garder sur tous les points, ayant à sa porte une des plus belles forêts des environs de Paris. C’était donc un lieu admirable, pouvant servir de refuge et offrir les plaisirs de la chasse au châtelain. La cour de Charles YI était très-adonnée au luxe, et parmi les grands vassaux de ce prince, Louis d’Orléans était un des seigneurs les plus magnifiques; aimant les arts, éclairé, ce qui ne l’empêchait pas d’être plein d’ambition et d’amour du pou- voir ; aussi voulut- il que son nouveau château fût à la fois une des plus somptueuses résidences de cette époque, et une for- teresse construite de manière à défier toutes les attaques.

Possesseur du duché de Valois, prétendant faire de ce ter- ritoire un vaste réseau militaire propre à dominer Paris, il était important d’avoir, près de Senlis, sur la route delà capi- tale, un point d’observation d’où l’on pût découvrir le par- cours de cette route, depuis la sortie de Senlis jusqu’à Crespy. Or, Louis d'Orléans choisit d’abord l'assiette de Montépilloy pour établir ce poste d’observation, et fit surhausser à cet effet le vieux donjon de ce château, dont on voit encore des

8

DESCRIPTION ET HISTOIRE

restes très-remarquables. Ainsi cette première forteresse per- mettait de couper le passage à tout corps d’armée débouchant de Sentis. La garnison de Montépilloy avait d’ailleurs la certi- tude d’être soutenue par les troupes enfermées dans Crespy, Béthisy, Yéz et Pierrefonds, si un corps d’armée débouchant de Senlis tentait d’envahir le Valois.

Ce duché était borné au nord-ouest et au nord par les cours de l’Oise, de l’Aisne et de la Vesle, au sud-est par la rivière d’Ourcq, au sud par la Marne. Il n’était largement ouvert que du côté de Paris, au sud-ouest, de Gesvres à Creil. Or le châ- teau de Montépilloy est placé en vedette entre ces deux points, sur la route de Paris passant par Senlis ; il s’appuyait sur le château de Nantheuil-le-Haudoin, situé sur la route de Paris à Villers-Cotterets, et qui se reliait au château de Gesvres, sur l’Ourcq. C’était une première ligne de défense couvrant les frontières les plus ouvertes du duché. En arrière, était une seconde ligne de places s’appuyant à l’Oise et suivant le petit cours d’eau de l’Automne ; Verberie, Béthisy, Crespy, Véz, Villers-Cotterets, la Ferté-Milon, sur l’Ourcq, et Louvry au delà. Derrière ces deux lignes, Louis d’Orléans établit, comme réduit seigneurial, la place de Pierrefonds, dans une excel- lente position. Des tours isolées furent élevées ou d’anciens châteaux augmentés sur les bords de l’Aisne et de l’Ourcq. Le passage de la Champagne en Valois, entre ces deux rivières, était commandé par les châteaux d’Ouchy, sur l’Ourcq, et de Braisne sur la Vesle, couverts par la forêt de Daule. Au nord, en dehors du Valois, dans le Vermandois, Louis d’Orléans avait acheté et restauré la place de Coucy qui couvrait le cours de l’Aisne. Tous ces châteaux (Coucy excepté), étaient mis en communication par les vues directes qu’ils avaient de l’un à l’autre au moyen des guettes et des postes intermédiaires.

DU CHATEAU DE PIERREFUNDS. I

Le château de Pierrefonds était ainsi mis en communication de signaux avec celui de Villers-Cotterets par la grosse tour de Réalmont, dont on voit encore les débris sur le point culminant de la forêt de Villers-Cotterets.

Les expéditions tentées par Louis d’Orléans, et qui n’eurent qu’un médiocre succès, ne prouveraient pas en faveur des talents militaires de ce prince, mais il est certain que lorsqu’il résolut de s’établir dans le Valois, de manière à se rendre maître du pouvoir et à dominer Paris pendant la maladie du roi Charles VI, il dut s’adresser à un homme habile, car ces mesures furent prises avec une connaissance parfaite des loca- lités et le coup d’œil d’un stratégiste.

Monstrelet parle du château de Pierrefonds comme d’une place du premier ordre et d’un lieu admirable.

En l/ill, lorsque après l’assassinat du duc d’Orléans, les partisans du prince étaient poursuivis, à l’instigation du duc de Bourgogne, le malheureux Charles VI envoya le comte de Saint-Pol en Valois pour prendre possession des places du jeune duc Charles d’Orléans. Après la reddition de Crespy, le comte de Saint-Pol « s’en alla au chastel de Pierrefonds, dit Mons- » trelet, qui estoit moult fort defiensable et bien garny et rem- » ply de toutes choses appartenais à la guerre: et luylà venu » se print à parlementer avec le seigneur de Boquiaux qui en » estoit capitaine : et enfin fut le traicté faict parmy ce que » ledit comte luy feit donner pour ses fraiz par le roy deux » mille escus d’or, et avec ce emportèrent luy et ses gens » tous leurs biens. » Plus tard, le château fut rendu au duc Charles d’Orléans, et Boquiaux en reprit le commandement. Le comte de Saint-Pol n’abandonna la place toutefois qu’en y mettant le feu. Le duc d’Orléans répara les dommages, mas 4’une manière provisoire, ainsi qu’il est établi par le docti-

10

DESCRIPTION ET HISTOIRE

ment suivant : « Plusieurs chambres basses et moyennes » estoient demourées saines et entières et aucunes des tours » du ditchastel (de Pierrefonds, après sonarsureet embrase- » ment), des quelles tous les combles, couvertures, et plus » haultes chambres ont esté arses, et par ainsi les dites cham- » bres sont demourées découvertes, et semblablement, au » corps du donjon du dit chastel soit demourée une chambre » entière du premier estage sur les voltes (voûtes) des celiers » d’icelui, et tout le hault et couverture arse et embrasés ; les- » quelles chambres sont en aventure de tourner en grave » ruyne par les pluves de l’ever prochain et autres en suivans, » ànostre très-grant domage se pourvnu n’y estoit; et oultre » que nostre dit chastel est du tout démontéz après ladite » arsure, desgarni et despourvu de trait, d’arbalestres, de pou- » dres, de canons et autres habillemens pertinens et conve- » nables à l’amision et deffense d’icellui, sans lesquels habil- » lemens ne pourroit estre bonnement gardés ni defïendus en » cas de besoin ; nous voulons à ce présentement estre pourveu » pour esche ver les inconvéniens et domages qui, en deffaut » de provision, nous pourroient avenir, attendu le temps d’hi- )> ver qui est si prochain, et autres causes à ce nousmouvens, » vous mandons et expressément enjoingnons que, par nostre » receveur de Valois, vous, des deniers de sa recepte, faictes « emploier et paier la somme de cent livres tournois, c’est » assavoir cinquante livres tournois en l’achat d’arbalestres de » trait, de poudres de canon, et aussi de canons s’ aucuns n’en » estoient demouréz au dit chastel après ladite arsure ; et les » autres cinquante livres tournois, en ouvrages et matières »> pour couvrir les dictes chambres, tant des dictes tour » comme de ladite chambre dudit donjon, de couverture » légère comme de chaume ou autre semblable, aflin de con-

DU CÜATEAU DE PIERREFOXDS.

H

» server tant les dites ehambres comme la maçonnerie d icelio » tour, par l’ordonnance du maistre denoz ouvrages de nostre » dit duchié de Valois, jusques à ce que mieux y soit par nous » pourveu....» et de plus le duc Charles ordonne «obstansles » guerres et divisions qui ont esté, et par aultres lettres, estre » employé et convertie par nostre receveur du Valois des de- » niers de sa recepte, la somme de deux cens quatre vins » livres tournois en Tâchât de certains vivres et autres provi- » sions, et y celles mises en nostre cbastel de Pierrefons pour » la garnison d’içellui, sous la garde de nostre ami et féal » chambellan le sire de Boqueux, cappitaine dudit chastcl, » avec sa compagnie de vingt-cinq hommes d’armes (doux » cent cinquante hommes).... A Paris le XXIe jour du mois » de février mil CCCC et quatorze (I). »

Peu après cette date, le 25 octobre 1415, le duc Charles était blessé à la journée d’Azincourt, et conduit prisonnier eu Angleterre.

En 1420, le château de Pierrefonds, dont la garnison était dépourvue de vivres et de munitions, ouvrit ses portes aux Anglais. Nous voyons qu’en 1422 cette place tenait pour le dauphin. Pierre de Fenin raconte comme quoi le seigneur d'OfTemont, ayant rendu la ville de Saint-Riquier au duc Phi- lippe de Bourgogne, en échange du seigneur de Conflans, de messiies Rigault de Fontaines, Gilles de Gamache, Pothon de Xaintrailles et Loys Burnel, s’en alla à « Pierrefois (Pierre- fonds), qui pour lors estoit en sa main. » Or le seigneur d'OfTemont tenait le parti du dauphin.

Louis XII, étant duc d’Orléans, fit faire quelques répara- tions au château de Pierrefonds ; toutefois il est à croire que

(1) Louis ei Charles ducs d'Orléans, par A. Cliampollir.'i-Figoac. Caris, 18/iô.

DESCRIPTION ET HISTOIRE

\1

ot*s derniers travaux ne consistaient guère qu’en ouvrages intérieurs, en distribution d’appartements, car la masse impo- sante des constructions appartient tout entière au commence- ment du xve siècle.

Le château de Pierrefonds est à la fois une forteresse du premier ordre et une résidence renfermant tous les services destinés à pourvoir à l’existence d’un grand seigneur et d’une nombreuse réunion d’hommes d’armes.

Sa force ne consistait pas seulement dans l’épaisseur et la hauteur de ses murs, dans les bons flanquements des tours, mais en une suite d’ouvrages extérieurs que rendait nécessaire l’invention de l’artillerie à feu, déjà prépondérante dans l’art de la guerre. Le château proprement dit est établi à l’extré- mité d’un promontoire formé par le plateau du Soissonnais, qui, sur ce point, est profondément érosé par des vallées. Le point extrême de ce promontoire, bien qu’élevé de 25 mè- tres au-dessus des deux vallons, est en contre-bas du niveau du plateau de 20 mètres environ, de telle sorte que ce plateau commande l’assiette du château. D’ailleurs, à 250 mètres de la forteresse, le promontoire s’élargit brusquement et, se réunis- sant à d’autres escarpements, forme deux amphithéâtres, qui semblent disposés tout exprès pour permettre d’entourer le château d’un demi-cercle de feux.

Il était donc très- important de commander le plateau, ces deux amphithéâtres, et de séparer l’extrémité du promontoire de la plaine élevée à laquelle il se soude largement.

Toutefois, au moment Louis d’Orléans élevait le château de Pierrefonds, les armées ne traînaient point avec elles une artillerie à longue portée. Les bouches à feu que possédaient les corps en campagne n’étaient que des pièces de petit calibre, de fer forgé, ou quelques bombardes courtes, que l’on char-

13

DU CHATEAU DE PIERKEFONDS.

geait avec des boulets de pierre, dont le tir était parabolique et la portée faible. Pour préserver, au commencement du xve siècle, le château des atteintes de cette artillerie, il n’ était pas nécessaire d’étendre très-loin les ouvrages extérieurs, et si l’on trouve des traces de ces ouvrages au point le promon- toire se réunit à la plaine, c’est qu’on avait voulu commander celle-ci et se ménager les moyens, en cas d’attaque, de con- server autour de la forteresse un rayon assez étendu. Ces dé- fenses contre la plaine opposées par conséquent au point d les attaques pouvaient être dirigées, se composaient d’une série de cavaliers isolés , qu’on appelait alors des boulevards, se commandant les uns les autres du dedans au dehors.

De ces cavaliers, le plus rapproché du château commande les suivants et est lui-mème enfilé par les pièces que l’on met- tait en batterie sur l’esplanade en avant du front méridional de la forteresse. Cette esplanade est séparée de la goige ou promontoire par un large fossé coupé à main d’homme dans la roche et le sable argileux très-compacte, composant ces terrains.

ïflG. 1.

Un profil en long, figure ! , pris perpendiculairement au front du château qui se présente vers le plateau, tera com-

DESCRIPTION ET HISTOIRE

prendre le système admis pour les défenses extérieures oppo- sées au côté attaquable. A est le pied du château au niveau du pont-levis; B, le niveau du plateau. En G est un premier bou- levard légèrement convexe comme une demi-lune très-ouverte et dont les extrémités touchent aux escarpements du promon- toire aux points ils commencent à se prononcer. En D est un second boulevard séparé du premier par une route. Ce second boulevard présente une courbe plus fermée que le premier, s’abaisse sensiblement vers son milieu et est épaulé par deux cavaliers dominant toute la demi-lune extérieure, la plaine et les deux escarpements.

Ainsi, le troisième boulevard E, par suite de rinflexion centrale du boulevard D, enfile le premier boulevard C et prend en écharpe les deux cavaliers de ce second boule- vard D. En G est creusé le fossé dont nous avons parlé plus haut et en H est établie l’esplanade inclinée, qui permet de poser des pièces en batterie pour enfiler tout l’espace E, F. On a profité de la configuration naturelle du sol pour élever ces ouvrages, fort dégradés il y a quelques années, mais en partie rétablis aujourd’hui. A partir des deux épaules du premier boulevard C, commencent des clôtures qui maintiennent l’es- carpement du promontoire dont le relief est d’autant plus pro- noncé qu’on s’avance vers le château. Ces clôtures latérales sont élevées à mi-côte, renforcées de contre-forts et forment des redans qui présentent autant de flanquements. Quant au château lui-même, il est établi sur une sorte de plate-forme. En voici, figure 2, le plan, à rez-de-chaussée (sur la cour), avec les ouvrages extérieurs les plus rapprochés. Le bas de notre figure donne l’extrémité du promontoire plongeant sur \e bourg et sur les deux vallons qui s'étendent à droite et à gauche. Vers le point A, le promontoire s’élève, s’élargit et, à

MJ CHATEAU DE PJEHKEFONDS. 45

200 mètres de environ, se soude à la plaine élevée qui s’étend jusqu’à la forêt de Villers-Cotterets. On voit en BB' les murs de soutènement bâtis à mi-côte qui se prolongent jus- qu’au premier boulevard et qui sont munis de contre-forts, ainsi que de redans flanquants. Ces fronts battent les deux vallons en suivant la déclivité du promontoire.

En C est une poterne avec caponnière c. Cette poterne s’ouvre sous le rempart formant mur de soutènement. Outre cette poterne, il y avait deux entrées ménagées dans les ouvrages extérieurs du château; l’une en D, l’autre en E. Ces deux entrées s’ouvraient en face d’anciennes rues du bourg de Pierrefonds et existent encore. L’entrée D est comman- dée par un gros boulevard G, entièrement construit en pierre et servant d’assiette à l’angle ouest du château. Par le chemin d d! on arrive, en montant une rampe inclinée de 5 centimè- tres par mètre en moyenne et en faisant un long détour, à la barbacane d " et à la porte F, munie d’une poterne. De l’en- trée E, en gravissant la rampe e e\ on arrive également à la porte F. Cette porte se relie avec les murs de soutènement B' qui défendent de ce côté le flanc du promontoire. Les écuries étaient situées dans une baille en A.

Ayant franchi la porte F, on arrive au pont mobile H qui per- met de traverser le fossé I, lequel sépare absolument le plateau de l’assiette du château et est indiqué en G dans la figure 1. Ce fossé, défilé par une batterie, se détourne en i, son fond est élevé de 5 à 6 mètres au-dessus du point c1. Ayant traversé le pont- levis H, on arrive sur l’esplanade;, laquelle est presque de ni- veau, tandis que sa partie / est inclinée de m en L Cette espla- nade est entourée de murs avec échauguettes flanquantes, et est séparée du pied du château par une fausse braie K en pierres de taille. Un châtelet L masque 1 entrée du château qui consiste en

16

DESCRIPTION ET HISTOIRE

une porte et poterne fermées par des ponts-levis. Mais outre les ponts-levis, entre la pile o et la pile p passe un large et profond fossé dallé avee soin, et ces deux piles ne sont reliées que par un plancher que l’on pouvait supprimer en cas de siège. Alors la communication entre le château et le châtelet se faisait par- un chemin étroit crénelé, pratiqué sur un arc qui réunit les têtes de ces piles ; passage qui était gardé par deux échauguettes avec portes. Ce passage est indiqué en s.

De l’échauguette o , on pouvait descendre par un escalier crénelé sur le boulevard G. Deux ponts à bascule séparaient toutefois le haut et le bas de cet escalier de l’échauguette o et du boulevard G. Du châtelet, par une porte latérale étroite, on montait par des degrés, soit sur l’esplanade, devant la fausse braie, soit sur le chemin de ronde de celle-ci. Tout l’espace q est pavé avec une forte déclivité, soit vers le fossé, soit vers la grosse tour d’angle, car le large fossé dallé ne commence qu’à la grosse tour centrale pour descendre par un ressaut prononcé jusqu’au niveau du boulevard G. Sur le chemin extérieur ee, s’ouvre, presque en face de la grosse tour d’angle, une poterne qui permet d’arriver à la porte relevée T dont nous donnons plus loin la description.

Maintenant, entrons dans le château. A côté de la porte charretière est une poterne qui n’a que 0m,50 de largeur, qui possède son pont-levis, dont le couloir se détourne sous le pas- sage en dehors de la herse. Le passage principal est couronné par trois rangs de mâchicoulis, de telle sorte que des gens qui auraient pu parvenir à s’introduire sous ce passage, arrêtés par la herse, étaient couverts de projectiles. La herse passée, à gauche on trouve le corps de garde M qui communique avec le portique élevé en dehors de la grande salle et aux défenses supérieures par un escalier spécial.

DU CHATEAU DE PlERREFONDS.

17

L’entrée du portique est en n , car celui-ci est élevé de quelques marches au-dessus du sol extérieur et ses piles re- posent sur un bahut couronné d’une grille assez élevée pour empêcher de passer de la cour sous les arcades. Ainsi, les per- sonnes admises sous le portique étaient-elles séparées du per- sonnel allant et venant dans la cour. Du portique on pénètre dans le vestibule a a, dans la première salle dd et dans la grande salle du rez-de-chaussée cc. Ce même portique donne entrée par un tambour entre les salles dd, cc, et dans l’esoa- lier à double rampe N.

Mais, avant de décrire les services intérieurs, il est néces- saire que nous désignions les tours. Chacune d’elles e;st dé- corée, sous les mâchicoulis, d’une grande statue d’un preux, posée dans une niche entourée de riches ornements. Les sta- tues existant encore sur les parois de ces tours ou retrouvées à leur base, ont permis de restituer leurs noms; car il était d’usage de donner à chaque tour un nom particulier, précau- tion fort utile lorsque le seigneur avait des ordres à faire transmettre aux officiers du château.

La grosse tour AA dépendant du donjon était la tour Char- lemagne. La tour BB dépendant am>si du logis seigneurial avait nom César; celle CC du coin, Artus ; celle DD, Alexandre ; celle EE, Godefroi de Bouillon ; celle FF, Josué ; celle GG, Hector, et celle IIII qui contenait la chapelle, Judas Macchabée.

En T est une porte relevée de 10 mètres au-dessus du sol et fermée par un pont-levis muni d’un treuil à l’aide duquel on élevait les provisions nécessaires à la garnison, jusqu’au niveau de la cour t, laquelle ne communiquait avec la grande cour que par la poterne X munie d’une herse et défendue par des mâchicoulis.

DESCRIPTION ET HISTOIRE

t#

Le donjon du château peut être complètement isolé des autres défenses. Il comprend les deux grosses tours de César et de Charlemagne, tout le bâtiment carré divisé en trois salles et la tour carrée U. L’escalier d’honneur Y, avec perron etmontoirs, permet d’arriver aux étages supérieurs. Le donjon était l’habitation spécialement réservée au seigneur et compre- nait tous les services nécessaires : caves, cuisines, offices, cüambres, gardes-robes, salons et salles de réceptio n.

Le donjon de Pierrfonds renferme ces divers services. Au rez-de-chaussée sont les cuisines et celliers voûtés, avec offices, laveries, caves et magasins. Le premier étage se compose d’une grande salle de 22 mètres de longueur sur 11 mètres de largeur, de deux salons et de deux grandes chambres dans les deux tours, avec cabinets et dépendances. Le second étage présente la même distribution. Un petit appartement, spécial est en outre disposé dans la tour carrée U à chaque étage.

Le troisième étage du logis est lambrissé sous comble et contient deux appartements ; les grosses tours, à ce niveau, étant uniquement affectées à la défense. Le donjon communi- que aux défenses du château par la courtine de gauche et par les ouvrages au-dessus de la porte d’entrée; à la chapelle, par un couloir passant au-dessus de la poterne X ; aux bâtiments Y, par une galerie disposée au-dessus du portail de cette chapelle.

i En R est le grand perron du château avec escalier montant aux salles destinées à la garnison, laquelle, en temps ordinaire, était logée dans l’aile du nord et dans celle attenant à la cha- pelle, à l’est. Suivant l’usage, la grande salle basse, en temps de guerre, servait encore à loger les troupes enrôlées tempo- rairement.

En effet, les locaux destinés à la garnison ordinaire, dans

DU CHATEAU DE PIEKREFONDS.

19

nos châteaux féodaux du xive siècle, ont peu d étendue. Ceci s’explique par la composition môme de ces garnisons. Bien peu de seigneurs féodaux pouvaient, comme le châtelain de Coucy au xme siècle, entretenir toute l’année cinquante chevaliers, c’est-à-dire cinq cents hommes d’armes. La plupart de ces sei- gneurs, vivant des redevances de leurs colons, ne pouvaient en temps ordinaire conserver près d’eux qu’un nombre d’hommes d’armes très limité. Étaient-ilsen guerre, leurs vassaux devaient Yestage , la garde du château seigneurial pendant quarante jours par an (temps moyen). Mais il y avait deux sortes de vassaux, les hommes liges, qui devaient personnellement le service mili- taire, et les vassaux simples, qui pouvaient se faire remplacer. De cette coutume féodale il résultait que le seigneur était sou- vent dans l’obligation d’accepter le service de gens qu’il ne connaissait pas, et qui, faisant métier de se battre pour qui les payait, étaient accessibles à la corruption. Dans bien des cas d’ailleurs, les hommes liges, les vassaux simples ou leurs rem- plaçants ne pouvaient suffire à défendre un château seigneu- rial quelque peu étendu ; on avait recours à des troupes de mercenaires, gens se battant bien pour qui les payait large- ment, mais au total peu sûrs. C’étaient donc dans des cas exceptionnels que les garnisons étaient nombreuses. 11 faut re- connaître cependant qu’à la fin du xive siècle et au commen- cement du xve, la défense était tellement supérieure à l’attaque, qu’une garnison de cinquante hommes, par exemple, suffisait pour défendre un château d’une étendue médiocre, contre un nombreux corps d’armée. Quand un seigneur faisait appel à ses vassaux et que ceux-ci s’enfermaient dans le château, on logeait les hommes les plus sûrs dans les tours, parce que cha- cune d’elles formait un poste séparé, commandé par un capi- taine. Pour les mercenaires ou les remplaçants, on les logeait

20

DESCRIPTION ET HISTOIRE

dans la salle basse, qui servait à la fois de dortoir, de salie à manger, de cuisine au besoin et de lieu propre aux exercices. Ce qui indique cette destination, ce sont les dispositions intérieures de ces salles, leur isolement des autres services, eurs rares communications avec les défenses, le voisinage de vastes magasins propres à contenir des munitions et des armes.

Ces salles basses sont en effet ouvertes sur la cour du châ- teau, mais ne communiquent aux défenses que par la cour et par des postes, c’est-à-dire par des escaliers passant dans des tours. Ainsi le seigneur avait-il moins à craindre la tra- hison de ces soldats d’aventure, puisqu’ils ne pouvaient arriver aux défenses que commandés et sous la surveillance de capi- taines dévoués. A plus forte raison les occupants de ces salles basses ne pouvaient-ils pénétrer dans le donjon que s’ils y étaient appelés. Dès la fin du xme siècle, ces dispositions sont déjà apparentes, quoique moins bien tracées que pendant les xive et xve siècles.

Cela s’explique. Jusqu’à la fin du xme siècle, le régime féo- dal, tout en s’affaiblissant, avait encore conservé la puissance de son organisation. Les seigneurs pouvaient s’entourer d’un nombre d’hommes sûrs assez considérable pour se défendre dans leurs châteaux; mais à dater du xive siècle, les liens féodaux tendent à se relâcher, et les seigneurs possédant de grands fiefs sont obligés, en cas de guerre, d’avoir recours aux troupes de mercenaires. Les vassaux, les hommes liges môme, les vavasseurs, les villages ou bourgades, rachètent à prix d’argent le service personnel qu’ils doivent au seigneur féodal, et celui-ci, qui en temps de paix trouvait un avantage à ces marchés, en cas de guerre se voyait obligé d’enrôler ces troupes d’aventuriers qui, à dater de cette époque, n’onî

nU CHATEAU DE PÏERREFON'S.

21

d'autre métier que de iuuer leurs services et qui devien- nent un fléau pour le pays, si les querelles entre seigneurs s’apaisent.

Le duc Louis d’Orléans, construisant le château de Pierre- fonds, adopta ce programme de la manière la plus complète.

Le bâtiment qui renferme les grandes salles du château de Pierrefonds occupe le côté occidental du parallélogramme for- mant le périmètre de cette résidence seigneuriale. Ce bâtiment est à quatre étages ; deux de ces étages sont voûtés et sont au- dessous du niveau de la cour, bien qu’ils soient élevés au-dessus du chemin de ronde extérieur d ; les deux derniers donnent un rez-de-chaussée sur la cour et la grand salle proprement dite, au niveau des appartements du premier étage.

La salle du rez-de-chaussée a son entrée en r. En face de la porte n du portique est un banc destiné à la sentinelle (car alors des bancs étaient toujours disposés une sentinelle devait être postée). Il fallait donc que chaque personne qui voulait pénétrer dans la première salle aa fût reconnue. De cette salle on pénètre dans une deuxième dd, puis dans la grande salle du rez-de-chaussée cc. Des latrines 2 servaient à la fois au corps de garde M et aux salles du rez-de-chaussée.

Une fois casernées dans ces salles de rez-de-chaussée, ces troupes étaient surveillées par la galerie d’entre-sol qui se trouve au-dessus du portique et ne pouvaient monter aux dé- fenses que sous la conduite d’officiers. D’ailleurs ces salles sont belles, bien aérées, bien éclairées, munies de cheminées et contiendraient facilement cinq cents hommes.

L’escalier N à double vis monte au portique d’entre-sol, à la grand’salle du premier étage et aux défenses. La grand’salle du premier étage était la salle seigneuriale se tenaient les assemblées ; elle occupe tout l’espace compris entre le premier

22

DESCRIPTION ET HISTOIRE

vestibule aaet le mur de refend q , auquel est adossé une vaste cheminée. Son estrade est placée devant cette cheminée ; le seigneur se rendait du donjon à cette salle en passant par des galeries ménagées au premier étage des bâtiments en aile Est et Nord. L’estrade ou parquet n’était autre chose que le tribu- nal du haut justicier ; c’était aussi la place d’honneur dans les cérémonies, telles que, hommages, investitures ; pendant les banquets, les bals, les mascarades, etc.

On pouvait aussi du donjon pénétrer dans la grand’salle de plain-pied, en passant sur la porte du château, dans la pièce située au-dessus du corps de garde et dans le vestibule.

Si la salle basse ne communique pas directement avec les défenses, au contraire, de la grand’salle du premier, on y arrive rapidement par un grand nombre d’issues. En cas d’at- taques, les capitaines de la garnison pouvaient être convoqués dans cette salle seigneuriale, recevoir des instructions, et se diriger instantanément sur les chemins de ronde des mâchi- coulis et dans les tours. A cet effet un escalier est ménagé contre les parois intérieures de la tour d’Alexandre (celle DD), du niveau de la grand’salle aux défenses supérieures.

Sur le vestibule de la grand’salle est une tribune qui ser- vait à placer les musiciens lors des banquets et fêtes que don- nait le seigneur.

De ces dispositions il résulte clairement que les salles basses étaient isolées des défenses, tandis que la grand’salle, située au premier étage, était au contraire en communication directe et fréquente avec elles ; que la salle haute ou grand’salle, était de plain-pied avec les appartements du seigneur, et qu’on sé- parait au besoin les hommes se tenant habituellement dans la salle basse, des fonctions auxquelles était réservée la plus haute. Ce programme, si bien écrit à Pierrefonds, jette un jour nou-

DU CHATEAU DE PIERREFOXDS.

23

veau sur les habitudes des seigneurs féodaux, obligés de rece- voir dans leurs châteaux des garnisons d’aventuriers.

On objectera peut-être que ces dispositions, à Pierrefonds, étaient tellement ruinées que la restauration peut être hypo- thétique. A cette objection nous répondrons: que le mur extérieur était complètement conservé, par conséquent les hauteurs des étages ; que le portique était écrit par l’épais- seur du mur intérieur et par les fragments de cette structure trouvés dans les fouilles; que l’escalier voisin de la tour cen- trale I)D, conservé, ne montant qu’à une hauteur d’entre-sol, indiquait clairement le niveau de cet entre-sol ; que la po- sition de l’escalier à double degré N était donnée par le plan par terre ; que les cheminées étaient encore en place ainsi que les murs de refend ; que les dispositions du corps de garde et des issues sont anciennes, ainsi que celles de la salle des latrines ; que le tambour donnant entrée dans le pas- sage entre les salles dd et cc était indiqué par des arrache- ments; 8° que les pieds-droits des fenêtres hautes ont été retrouvés dans les déblais et replacés ; que les pentes des combles sont données par les filets existant le long de la tour EE. Si donc quelque chose est hypothétique dans cette restauration, ce ne pourrait être que des détails qui n’ont aucune importance.

Ces grandes salles, pendant le moyen âge, étaient riche- ment décorées :

« Li rois fu en la sale bien painturé à liste (1). n

Non-seulement des peintures, des boiseries, voire des tapis- series, couvraient leurs parements, mais on y suspendait des armes, des trophées recueillis dans les campagnes. Sau^

(1) Li romans de Berte aus grans piés, ch. XCII.

24

DESCRIPTION ET HISTOIRE

val (1) rapporte que le roi d’Angleterre traita magnifiquement saint Louis au Temple, lors de la cession si funeste que fit ce dernier prince, du Périgord, du Limousin, de la Guyenne et de la Saintonge.

Ce fut dans la grand’salle du Temple que se donna le ban- quet : « A la mode des Orientaux», dit Sauvai, «les murs » de la salle étoient couverts de boucliers; entre autres s’y » remarquoit celui de Richard, premier roi d’Angleterre, sur- » nommé Cœur de Lion. Un seigneur anglois l’ayant aperçu » pendant que les deux rois dînoient ensemble, aussitôt dit à » son maître en riant : Sire, comment avez-vous convié les » François de venir en ce lieu se réjouir avec vous; voilà le » bouclier du magnanime Richard qui sera cause qu’ils ne » mangeront qu^en crainte et en tremblant. »

A Pierrefonds, la grand’salle haute était décorée de pein- tures. La porte qui donnait dans le vestibule était toute bril- lante de sculptures et surmontée d’une claire-voie avec large tribune; la voûte était lambrissée en berceau et percée de grandes lucarnes du côté de la cour. La cheminée qui termi- nait l’extrémité opposée à l’entrée supportait sur son manteau les statues des neuf preuses (2).

Au château de la Ferté-Milon les statues des preuses sont posées sur la paroi des tours comme le sont les statues des preux à Pierrefonds. Voici les noms des neuf preuses placées sur la cheminée de la grand’salle à Pierrefonds : Sémiramis, Déifemme, Lampédo, Hippolyte, Deiphile, Thamyris, Tan- qua, Ménelippe, Pentésilée, tels que les donne avec leurs

m Ternie II, p. 246.

(2) Dans les reconstructions élevées à Coucy par Louis d’Orléans, il y avait la salle des preux et la salle des preuses. Ces dernières figures étaient, de môme qu’à Pierrelonds, posées sur le manteau de la cheminée. (Voy. Ducerceau.)

DU CHATEAU DE ri EH DEFONDS.

2*)

blasons, le roman de Jouvencel de la Bibl. Irnp. f. Notre- Dame, 205, xy® siècle.

La salle basse était elle-même décorée avec un certain luxe, ainsi que le constatent la cheminée qui existe encore en partie, les corbeaux qui portent les poutres et les fragments du portique.

Les tours d’Artus, d’Alexandre, de Godefroi de Bouillon et d’Hector, contiennent chacune un cachot en cul de basse- fosse, c’est-à-dire dans lequel on ne peut pénétrer que par une ouverture pratiquée au sommet de la voûte en calotte ogivale. De plus, la tour d’Artus renferme des oubliettes.

Il n’est pas un château dans lequel les guides ne nous fas- sent voir des oubliettes; généralement ce sont les latrines qui sont décorées de ce titre, et que l’on suppose avoir en- glouti des victimes humaines sacrifiées à la vengeance des châtelains féodaux ; mais cette lois il nous paraît difficile de ne pas voir de véritables oubliettes dans la tour sud-ouest du château de Pierrefonds. Au-dessous du rez-de-chaussée est un étage voûté en arcs ogives ; et au-dessous de cet étage, une cave d’une profondeur de 7 mètres, voûtée en calotte elliptique. On ne peut descendre dans cette cave que par un œil percé à la partie supérieure de la voûte, c’est-à-dire au moyen d’une échelle ou d’une corde à nœuds; au centre de faire de cette cave circulaire est creusé un puits qui a 14 mè- tres de profondeur, puits dont l’ouverture de 1“,30 de dia- mètre correspond à l’œil pratiqué au centre de la voûte ellip- tique de la cave. Cette cave, qui ne reçoit de jour et d’air extérieur que par une étroite meurtrière, est accompagnée d’un siège d'aisances pratiqué dans l’épaisseur du mur. Elle était donc destinée à recevoir un être humain, et le puits creusé au centre de son aire était probablement une tombe

26

DESCRIPTION ET HISTOIRE

toujours ouverte pour les malheureux que l’on voulait faire disparaître à tout jamais.

D’ailleurs la tour d’Artus n’était pas éloignée du corps de garde et placée à l’extrémité de la grand’salle le seigneur rendait la justice.

L’étage inférieur de la chapelle était réservé au service du chapitre et la tour de Josué ne contenait guère, à tous ses étages, que des latrines pour la garnison logée de ce côté du château. Au bas de la courtine de gauche de la tour de Josué, en P, est une poterne relevée de 2 mètres au-dessus du sol extérieur. Cette poterne s’ouvre sur des passages souterrains qui ne communiquaient aux étages supérieurs que par un seul escalier à vis donnant dans le poste du rez-de-chaussée. A côté de la poterne est un porte-voix se divisant en deux conduits, l’un aboutissant dans la salle 1 au premier étage, l’autre dans la salle 2 au rez-de-chaussée. Ce deuxième branchement, incliné à 45°, était assez large pour qu’on pût y faire monter ou descendre un homme couché sur un traîneau sans ouvrir une seule porte ou poterne. C’était une véritable sortie pour des messagers ou pour des espions en cas d’investissement.

Il fallait donc, pour faire ouvrir la poterne à une ronde ren- trante, que les deux postes situés au rez-de-chaussée et au premier étage fussent d’accord, ce qui était une difficulté en cas de trahison. Une fois la ronde entrée par la poterne P, il était nécessaire qu’elle connût les distributions intérieures du château ; car pour parvenir à la cour, elle devait passer par le seul escalier à vis qui aboutît au poste du rez-de-chaussée. Si une troupe ennemie s’introduisait par la poterne P, trois couloirs se présentaient à elle; deux sont des impasses, le troisième aboutit à une cave fermée par une porte, puis à l’escalier 3. Avant de se reconnaître dans ces couloirs obscurs.

DU CHATEAU DE PIERREFONDS.

57

des gens ignorant les êtres du château perdaient un temps précieux.

Si les dispositions défensives du château de Pierrefonds n’ont pas la grandeur majestueuse de celles du château de Coucy, elles ne laissent pas d’être combinées avec un art, un soin et une recherche dans les détails, qui prouvent à quel degré de perfection étaient arrivées les constructions des places fortes seigneuriales à la fin du xive siècle, et jusqu’à quel point les châtelains, à cette époque, savaient se garder.

Nous avons longtemps cherché des restes d’aqueducs des- tinés à alimenter le château. Les aqueducs n’ont jamais existé, nous en avons acquis la preuve. La garnison se servait de l’eau tirée d’un puits de 33 mètres de profondeur, situé près du portique de la grand’salle dans la cour, et d’une vaste citerne établie dans les cours du bâtiment situé entre la chapelle et la tour Hector. Citerne alimentée par les eaux de pluie tombant sur les combles et terrasses.

Si l’on examine les constructions du château de Pierre- fonds, il sera facile de se faire une idée du programme rempli par l’architecte. Vastes magasins au rez-de-chaussée avec le moins d’issues possibles. Sur les dehors, du côté de l’entrée, qui est le plus favorable à l’attaque, énormes et massives tours pleines dans la hauteur du talus, et pouvant résister à la sape. Du côté de la poterne T, courtine de garde très-épaisse et haute, avec cour intérieure entre cette courtine et le logis ; seconde poterne pour passer de cette première cour dans la cour principale. Comme surcroît de précaution, de ce côté, très-haute tour carrée enfilant, le logis sur deux de ses faces, commandant toute la cour t et aussi les dehors, avec échau- guettes au sommet flanquant les faces mêmes de la tour carrée. D’ailleurs, possibilité d’isoler les défenses des deux tours rondes

DESCRIPTION ET HISTOIRE

<‘t de la tour carrée eu fermant les étroits passnges donnant dans le logis; ainsi la défense était indépendante de l’habita- tion. Possibilité de communiquer d’une de ces tours aux deux autres par les chemins de ronde supérieurs, sans passer par les appartements. Outre la porte du château et le grand escalier avec perron, issue particulière pour la tour carrée, soit par la petite porte de l’angle rentrant, soit par l’escalier de la cha- pelle. Issue particulière de la tour Charlemagne par la cour- tine, dans laquelle est percée la poterne, et par les escaliers de la chapelle. Issue particulière de la tour César par les salles situées au-dessus de la porte et l’escalier qui descend de fond. Communication facile établie entre les tours et les dé- fenses du château par les chemins de ronde. Logis d’habitation se défendant lui-mème, soit du côté de la cour /, soit du côté de l’entrée du château, au moyen de crénelages et mâchicou- lis à la base des pignons. Ce logis, bien protégé du côté du dehors, masqué, flanqué, n’ayant qu’une seule entrée pour les appartements, celle du perron, et cette entrée, placée dans la cour d’honneur, commandée par une des faces de la tour car- rée. Impossibilité à toute personne n’étant pas familière avec les distributions du logis de se reconnaître à travers ces passa- ges, ces escaliers, ces détours, ces issues secrètes ; et pour ce- lui qui habite, facilité de se porter rapidement sur quelque point donné des défenses, soit du donjon lui-mème, soit du château. Facilité défaire des sorties si l’on est attaqué. Facilité de recevoir des secours ou provisions par la poterne T, sans craindre les surprises, puisque cette poterne s’ouvre dans une première cour qui est isolée et ne communique à la cour prin- cipale que par une seconde poterne dont la herse et la porte barrée sont gardées par les gens du donjon. Belles salles bien disposées, bien orientées, bien éclairées; appartements privés

DU CHATEAU DE IMERKEFONDS 23

avec cabinets, dégagements et escaliers particuliers pour le service. Certes il y a loin du donjon de Coucy, qui n’est qu’une tour chefs et soldats devaient vivre pêle-mêle, à ce dernier donjon, qui, encore aujourd’hui, seraitune habitation agréable et commode ; mais à la vérité les mœurs féodales des sei- gneurs du xvc siècle ne ressemblaient guère à celles des châ- telains du commencement du xme.

Comme construction, rien ne peut rivaliser avec le donjon de Pierrefonds; la perfection de l’appareil, de la taille, de la pose de toutes les assises réglées et d’une hauteur uniforme de 0'",33 (un pied), est faite pour surprendre les personnes qui pratiquent l’art de bâtir. Dans ces murs d’une hauteur peu ordinaire et inégaux d’épaisseur, nul tassement, nulle déchi- rure ; tout cela a été élevé par arasements réguliers ; des chaî- nages, on n’en trouve pas trace, et bien qu’on ait fait sauter les deux grosses tours par la mine, que les murs aient été sapés du haut en bas, cependant les parties encore debout semblaient avoir été construites hier. Les matériaux sont excellents, bien choisis, et les mortiers d’une parfaite résistance. Les traces nombreuses do boiseries, d’attaches de tentures que l’on aper- çoit encore sur les parois intérieures du donjon de Pierrefonds, indiquent assez que les appartements du seigneur étaient riche- ment décorés et meublés, et que cette résidence réunissait les avantages d’une place forte du premier ordre à ceux d’une habitation plaisante située dans un charmant pays. L'habitude que nous avons des dispositions symétriques dans les bâtiments depuis le xvn' siècle, fera paraître étranges peut-être les irré- gularités que l’on remarque dans le plan du donjon de Pierre- fonds. Mais l’orientation, la vue, les exigences de la défense, exerçaient une influence majeure sur le tracé de ces plans. Ainsi, par exemple, 1e biais que Ion -remarque dans le mur

30

DESCRIPTION ET HISTOIRE

oriental du logis (biais qui extérieurement est inaperçu en exécution) est évidemment imposé par le désir d’obtenir des /jours sur le dehors d’un côté la campagne présente de charmants points de vue, de laisser la place nécessaire au flan- quement de la tour carrée, ainsi qu’à la poterne intérieure entre cette tour et la chapelle; la disposition du plateau ne permettant pas d’ailleurs de faire saillir davantage la tour contenant cette chapelle, qui est orientée. Le plan de la partie destinée aux appartements est donné par les besoins mêmes de cette habitation, chaque pièce n'ayant que la dimension nécessaire. En élévation, les différences des hauteurs des bâti- ments sont de même imposées par les nécessités de la défense ou de l’habitation.

Mais ce qui doit attirer particulièrement l’attention des visi- teurs dans cette magnifique résidence, c’est le système de dé- fense nouvellement adopté à la fin du xive siècle. Chaque por- tion de courtine est défendue à sa partie supérieure par deux étages de chemins de ronde, l’étage inférieur étant muni de mâchicoulis, créneaux et meurtrières ; l’étage supérieur sous le comble, de créneaux et meurtrières seulement.

Les sommets des tours possèdent trois et quatre étages de défenses, un chemin de ronde avec mâchicoulis et créneaux au niveau de l’étage supérieur des courtines , un étage de cré- neaux intermédiaires, et un parapet crénelé autour des com- bles. Si l’on s’en rapporte à une vignette assez ancienne (xvie siècle), la tour d’Alexandre, bâtie au milieu de la courtine de l’ouest, vers le bourg, possédait quatre étages de défenses. Des guettes très-élevées surmontaient celles de Charlemagne et de César. Malgré la multiplicité de ses défenses, le château pouvait être garni d’un nombre de défenseurs relativement restreint, car ces défenses sont disposées avec ordre, les com-

DU CHATEAU DE PI EH REFONDS.

Si

niuuications entre elles sont facile*., les courtines sont bien flanquées par des tours saillantes et rapprochées. Les rondes peuvent se faire de plain-pied tout autour du château à la partie supérieure, sans être obligées de descendre des tours sur les courtines, et de remonter de celles- ci dans les tours, ainsi qu’on était forcé de le faire dans les châteaux des xne et xiue siècles.

On remarquera qu’aucune meurtrière n’est percée à la base des tours. Ce sont les crénelages des murs extérieurs des lices, aujourd’hui détruits, et les boulevards, qui seuls défen- daient les approches. La garnison, forcée dans ces premiers ouvrages, se réfugiait dans le château, et occupant les étages supérieurs, bien couverts par de bons parapets, elle écrasait les assaillants qui tentaient de s’approcher du pied des rem- parts.

Bertrand du Guesclin avait attaqué quantité de châteaux bâtis pendant les xue et xnie siècles, et, profitant du côté faible des dispositions défensives de ces places, il faisait le plus sou- vent appliquer des échelles le long de leurs courtines basses en ayant le soin d’éloigner les défenseurs par une grêle de pro- jectiles ; il brusquait l’assaut et prenait les places autant par eschelades que par les moyens lents de la mine et de la sape. La description du château du Louvre, donnée par Guillaume de Lorris au xme siècle, dans le Roman de la rose , fait con- naître que la défense des anciens châteaux des xne et xme siè- cles exigeait un grand nombre de postes divisés, se défiant les uns des autres et se gardant séparément. Ce mode de défense était bon contre des troupes n’agissant pas avec ensemble et procédant, après un investissement préalable, par une suc- cession de sièges partiels ou par surprise; il était mauvais con- ub des armées disciplinées, entraînées par un chef habue,

??i bt^CUII,'110IN ET HISTOIRE

qui, abandonnant les voies suivies jusqu’alors, faisait sur un point un grand effort, enlevait les postes isolés sans leur laisser le temps de se reconnaître et de se servir de tous les détours et obstacles accumulés dans la construction des forteresses. Pour se bien défendre dans un château du xme siècle, il fallait que la garnison n’oubliât pas un instant de profiter de tous les détails infinis de la fortification. La moindre erreur ou négli- gence rendait ces obstacles non -seulement inutiles, mais môme nuisibles aux défenseurs ; et dans un assaut brusqué, dirigé avec énergie, une garnison perdait ses moyens de résistance à cause même de la quantité d’obstacles qui l’empêchait de se porter en masse sur le point attaqué. Les défenseurs, obligés de monter et de descendre sans cesse, d’ouvrir et de fermer quantité de portes, de filer un à un dans de longs couloirs et des passages étroits, voyaient la place emportée avant d'avoir pu faire usage de toutes leurs ressources. Cette expérience profita certainement aux constructeurs des forteresses à la fin du xive siècle ; ils donnèrent plus de relief aux courtines pour se garantir des eschelades, n’ouvrirent plus de meurtrières dans les parties basses des ouvrages, mais les renforcèrent par des talus qui avaient encore l’avantage de faire ricocher les projectiles tombant des mâchicoulis; ils mirent les che- mins de ronde et courtines en communication directe, afin de présenter, au sommet de la fortification, une ceinture non interrompue de défenseurs pouvant facilement se rassembler en nombre sur le point attaqué et recevant les ordres avec rapidité ; ils munirent les mâchicoulis de parapets solides bien crénelés, et couverts, pour garantir les hommes contre le tir parabolique du dehors. Les chemins de ronde s’ouvraient sur les salles supérieures servant de logement aux troupes sûres (les bâtiments étant alors adossés aux courtines) ; les soldats

DU CHATEAU DE P1EKKEF0NDS.

pouvaient ainsi a toute heure et en un instant occuper la erete «les remparts.

Le château de Pierrefonds remplit exactement ce nouveau programme. Nous avons fait le calcul du nombre d'hommes nécessaires pour garnir l’un des fronts de ce château : ce nom- bre pouvait être réduit à soixante hommes pour les grands fronts et à quarante pour les petits côtés. Or, pour attaquer deux fronts à la fois, il faudrait supposer une troupe très-nom- breuse, deux mille hommes au moins, tant pour faire les appro- ches que pour forcer les lices, s’établir sur les terre -pleins, faire approcher les engins et les proiéger. La défense avait donc une grande supériorité sur l’attaque. Par les larges mâchicoulis des chemins de ronde inférieurs, elle pouvait écraser les pion- niers qui auraient voulu s’attacher à la base des murailles. Pour que ces pionniers pussent commencer leur travail, il eût fallu, soit creuser des galeries de mine, soit établir des galeries de bois; ces opérations exigeaient beaucoup de temps, beau- coup de monde et un matériel de siège. Les tours et courtines sont d’ailleurs renforcées à la base par un empâtement qui double à peu près l’épaisseur de leurs murs, et la construction est admirablement faite en bonne maçonnerie, avec revête- ment de pierre de taille. Les assaillants se trouvaient, une fois dans les lices, sur un espace étroit, ayant derrière eux un escarpement et devant eux de hautes murailles couronnées par plusieurs étages de défenses; ils ne pouvaient se développer, leur grand nombre devenait un embarras ; exposés aux pro- jectiles de face et d’écharpe, leur agglomération sur un point devait être une cause de pertes sensibles ; tandis que les assié- gés, bien protégés par leurs chemins de ronde couverts, domi- nant la base des remparts à une grande hauteur, n’avaient rien à redouter et ne perdaient que peu de monde. Une garnison do

DESCRIPTION ET HISTOIRE

U

trois cents hommes pouvait tenir en échec un assiégeant dix lois plus fort pendant plusieurs mois.

Si, après s’être emparé des terrasses, des boulevards et de i’esplanade de Pierrefonds, l’assiégeant voulait attaquer le château par le côté de l'entrée, il lui fallait prendre le châtelet, combler un fossé très-profond, enfilé par la grosse tour du donjon et par la tour de coin ; sa position était plus mauvaise encore, car soixante hommes suffisaient largement sur ce point pour garnir les défenses supérieures ; et, pendant l’attaque, une troupe faisant une sortie par la poterne P allait prendré L’ennemi en flanc. Les deux grosses tours de César et de Char- lemagne, tenant au donjon, au logis seigneurial, sont couron- nées par un système défensif qui permet d’empêcher toute approche. Le chemin de ronde des mâchicoulis donne dans une salle percée d’un grand nombre d’ouvertures. Le dallage de cette salle posé sur voûte est placé à 2 mètres en contre- bas du sol des mâchicoulis, de sorte qu’on peut approvisionner, dans ce réservoir, une masse énorme de projectiles. Des ser- vants les passent aux défenseurs qui se tiennent sur le chemin de ronde; le capitaine, posté à un niveau supérieur, sur ui\ balcon intérieur, voit toute la campagne et les abords par un grand nombre d’ouvertures; il peut ainsi donner des ordres à ses hommes sans que ceux-ci aient à s’inquiéter des disposi- tions de l’ennemi.

Chacun agit à son poste, sans perte de temps et sans con- tusion. Le châtelain de Pierrefonds pouvait donc, à l’époque ce château fut construit, se considérer comme à fabri de toute attaque, à moins que le loi n’envoyât une armée de plusieurs mille hommes bloquer la place et faire un siège en règle. Deux étages de caves, spacieuses, voûtées, aérées par des soupiraux, permettaient d’approvisionner des vivres

DU CHATEAU DE PIERREFONDS.

35

pour une garnison de mille hommes pendant plusieurs mois.

L’artillerie à feu seule devait avoir raison de cette forte- resse, et l’expérience prouva que, même devant ce moyen puissant d’attaque, la place était bonne. Pendant la Ligue, la place de Pierrefonds tenait pour les Seize, et était confiée au commandement d’un certain seigneur de Rieux, gouverneur de Marie, et en dernier lieu de Laon et du château de Pierre- fonds (1).

Ce Rieux était venu à Paris en 1591 avec sa compagnie, le 16 novembre, pour prêter main-forte aux Seize, qui firent arrêter ce jour-là grand nombre de gens qu ils pensaient leur être contraires (2). Il était grand pillard, avait fait ses preuves pendant l’expédition des ligueurs au comté de Montbéliard en 1588 (3), et s’était fait grandement redouter dans les cam- pagnes du Soissonnais et jusqu’aux environs de Paris. «Il » faut», lui fait dire l’auteur de la Satire Ménippèe , « qu’il y » ait quelque chose de divin en la Sainte-Union, puisque par » son moyen, de commissaire d’artillerie assez malotru , je » suis devenu gentilhomme, et gouverneur d’une belle for- » teresse : voire que je me puis égaler aux plus grands, et suis » un jour pour monter bien haut à reculons, ou autrement (4). » J’ai bien occasion de vous suivre, monsieur le Lieutenant (5), » et faire service à la noble Assemblée, à bis ou à blanc, à » tort ou à droit, puisque tous les pauvres prestres, moynes et » gens de bien, dévots catholiques, m’apportent des chandelles » et m’adorent comme un saint Maccabée au temps passé. C’est

(1) Voyez, dans la Satire nippée, le discours de Rieux.

(2) Voyez le Journal de J. Vaultier de Scnlis du 13 mai 15S8 au 16 juin 1598 [Monuments inéd. de l’hist. de France , 1460-1600, publiés par A. Bernier, avocat, 1835).

(3) M&m. de la Ligue , t. 111, p. 712 et suiv.

(4) Allusion au gibet auquel il fut attaché plus tard.

(5j Le duc de Mayenne.

30 DESCRIPTION ET HISTOIRE

» pourquoi je me donne au plus viste des diables, que si aucun » de mon gouvernement s’ingère de parler de paix, je le cour- » ray comme un loup gris. Vive la guerre ! il n’est que d’en » avoir, de quelque part quelle vienne. Je vois je ne sçay quels » dégoustez de nostre Noblesse qui parlent de conserver la Re- » ligion et l’État tout ensemble; et que les Espagnols perdront » à la fin l’un et l’autre, si on les laisse faire. Quant à moy, je » n’entends point tout cela : pourveu que je lève toujours les » tailles et qu’on me pave bien mes appointements, il ne me » chaut que deviendra le Pape, ny sa femme. Je suis après mes*

» intelligences pour prendre Noyon.... »

En 1593, le maréchal de Biron est envoyé devant Pierre- fonds pour réduire la place. Nous possédons son rapport adressé au roi Henri 1Y, et daté du 21 septembre 1593.

« Du camp devant Pierrefouds.

» Sire, nous feismes hier la batterie à ceste place avec neuf » canons et deux couleuvrines et tirasmes tant qu’il ne nous » restoit que cent trente balles lesquelles nous ne voulûmes pas » achever de tirer jusques à ce que nous en eussions aujour- » d’hui davantage; il fut dépesché dès hier au soir à Senlis et » àCrespy, d’où j’espère recouvrer pour parfournir jusques à » 360 balles et six milliers de pouldres, que je faisois estât » d’employer aujourd’huy et avec yceux faire une bresche et » essayer de forcer la place, ou y gagner quelque advantage ; » ceste nuit j’ai eu advis queM. Du Mayne estoit arrivé du soir » àBresne (Braine), qui n’est qu’à sept lieues d’icy avec mil >/ chevaulx et mil harquebuziers à cheval, que le bruit estoit » qu’il venoit droit icy en opinion que mon fils fut party avec » ce qu’il y a de cavallerie, et de m’en trouver icy bien * » garny. Comme il n y a guères falu que cet advis n’ait été

DU CHATEAU DE PIEKP.EFONDS. 37

» véritable, j’ay fait aussitôt advertir tout ie inonde pour mon- » ter à cheval, et suis icy près la batterie attendant les troupes »> pour recevoir le dit sire de Mayne , s il continue son des- » sein de venir à nous. Je ne sçay i|ue vous dire encores ce qui adviendra de ce siège ; la muraille est de si bonne étoffe et » si épaisse que tout ce qui y fut hier tiré ne feit pas beaucoup »> d’effet. L’on fit commencer la batterie à la tour et ouvrir à » l’endroit d’une fenestre, mais la muraille se trouve si bonne » et épaisse que l’on feit cesser à cet endroit et battre le long », de la courtine jusques à ce que nous nous aperçusmes du » deffault des dites munitions ; je pensois suivant ce qui est » escrit au dessus, que la despesche que j’avois faite pour en » recouvrer du dit Sentis et Crespy eust été envoyé dès hier,

» elle n’est partie que ce matin.

M. de Dicourt est icy attendant le partement de mon fils » pour aller trouver Votre Majesté.

» Sire, je supplie très humblement le Créateur vous don- » ner en santé, très heureuse et longue vie.

» Du camp devant Pierrefons, ce onze septembre 1.593.

» Votre très humble et très obéissant subjet et serviteur

» Biron. »

Ricux avait pour proche parent Henri de Sauveulx ou de Savereulx, prêtre, religieux et chanoine régulier de l’abbaye de Saint-Jean des Vignes à Soissons. Cet Henri de Sauveulx, ayant obtenu la permission de ses supérieurs de prendre les armes pour la foi, s’était enfermé à Pierrefonds avec le sei- gneur de Rieux. Tous deux tentèrent de surprendre Noyon, et y entrèrent en effet; mais laissés sans secours, Rieux fut fait prisonnier, et son parent étant parvenu a s echappci , rentra dans son monastère.

38 DESCRIPTION ET HISTOIRE

A la date du 11 mars 159/j, on lit dans le journal de J. Yaultier : «M. de Rieux étant prisonnier dans Compïègne, » son procès lui fut fait par M. Miron, maître des requestes de » l’hôtel du roy ; et, par son jugement, il fut pendu et étran- » glé ; lequel étoit lors gouverneur de Laon et en son lieu de » Pierrefonds y avoit établi M. d’Arey, son oncle, pour le gou- » vernement d’iceluy, pour le parti de la Ligue.

La présence de ce nouveau gouverneur de Pierrefonds pour la Ligue est encore mentionnée à la date du 20 juin 159Zi (1) : «Ledit jour le seigneur d’Arcy, oncle dudit défunt sieur de » Rieux, gouverneur de Pierrefonds, qui avoit naguères » mandé à Sa Majesté qu’il tenoit la place pour lui, et à l’oc- » casion d’une querelle qu’il avoit contre quelque personne, » il lui prioit lui donner la garde d’icelui ; de quoi le seigneur » Dupescher, en étant averti, et craignant qu’on n’y mît autre » garnison qui l’eût grandement importuné, fut de la Ferté- » Milon audit Pierrefonds avec deux pétards et intelligence » qu’il y avoit pratiquée; et avec quelques soldats, ils entrèrent » dedans, tuèrent ceux qui se mirent en défense, prirent pri- » sonnier le dit seigneur d’Arcy et son fils, qui estoient blessés ; » de quoi à l’instant la demoiselle sa femme décéda d’effroi : » et étant assuré de la dite place, après y avoir laissé garnison » et pourveu à tout, il se retira à la Ferté-Milon. »

Ce sire Dupescher tenait également pour la Ligue et ne ren- dit le château de la Ferté-Milon au roi que le 11 septem- bre 459 h (2). Il est à croire que le château de Pierrefonds fut livré en même temps, car à la date du 10 août 1595 le journal de J. Yaultier relate ce fait : « Un religieux de Soissons, cousin » du défunt de Rieux, voyant que Pierrefonds étoit au roi. et

(1) Journal de J. Vaultierde Senlis.

(2) Journal de J. Vaultier de Sealis.

T)ü CHATEAU DE PIEUREFOKDS.

31

» connoissant le secret d’icelui, par intelligence de quelques » soldats, prit le château et y introduisit les Espagnols qui le gar- » dèrent encore pour la Ligue et en expulsèrent la garnison » de M. d’Estrées que Sa Majesté avoit commis à la garde d'ice- » lui. Ledit religieux, aussitôt que les Espagnols furent jouis* » sans de Pierrefonds, fut envoyé par eux au bureau d’Arras » pour avoir récompense, mais en y allant, il fut fait prison- » nier des gens du roi auquel il fut présenté ; et eut telle ré- » compense que l’avoit eue le seigneur de Gomeron, gouver- » neur de Ham, ci-dessus nommé (I). »

Ce religieux, cousin de Rieux, est H. de Sauveulx, mais Vaultier se trompe en quelques points. Des renseignements inédits qui nous ont été fournis avec une extrême obligeance par M. d’Harriet, archiviste de l’hôpital de Saint-Louis-des- Français à Madrid, fondé par le même de Sauveulx, lorsqu’il se fut réfugié en Espagne, jettent un jour tout nouveau sur cette dernière période de l’histoire de Pierrefonds (*2). D’après ces documents, de Sauveulx sort une deuxième fois en 4 595 de son monastère, toujours autorisé par son prieur, et de plus par un bref personnel du pape. H. de Sauveulx, aidé d’un certain Jérôme Dentici, sergent-major {serge ante maïor ) dans la légion napolitaine en garnison à Soissons, et d’une vingtaine de ses hommes, escalade la nuit les murs de la place avec des échelles de cordes jetées par des soldats gagnés, et chasse la garnison.

Maître de Pierrefonds, H. de Sauveulx déclare au comte de Fuentès, gouverneur général des provinces belgiques, qu’il tient, la place et la veut défendre au nom du roi des Espagnes.

(1) Le seigneur de Gomeron avait eu la tête tranchée par les Espagnols.

(2) M. Prioux, l’infatigable explorateur des documents sur le Soissonnais, nous a mis le premier sur la voie de ces pièces déposées aux archives de l’hôpital Saint- Louis-des-Français de Madrid.

aa

DESCRIPTION ET HISTOIRE

H ri y met aucune condition, bien que le château soit bien k lui, l’ayant pris en légitime guerre, et pouvant, pour le livrer au roi Philippe, en exiger une forte somme comme bien d au- tres ont fait. Le comte de Fuentès lui envoie, pour y tenir gar- nison, sept cents Napolitains et trois cents Wallons, et le nomme capitaine et gouverneur de la place.

H. de Sauveulx fortifie sa conquête, y fait entrer des vivres pour un an, des armes, munitions et artillerie. Il dépense de ses deniers et sur la bourse de ses amis 20 000 ducats pour subvenir à ces préparatifs de défense.

Cependant, dès le 15 août, « M. de Maniquant (1) avec son » régiment et plusieurs compagnies de Sa Majesté, investirent » ledit château de Pierrefonds, afin que l’ennemi ne sortît et » que les autres n’entrassent. »

H. de Sauveulx est assiégé à trois reprises (1595) par les troupes de Henri IV, essuie d’innombrables coups de canon (1174 en un seul siège), sans que l’ennemi le puisse entamer. Pendant l’un de ces sièges, le duc d’Épernon est blessé, mais H. de Sauveulx, mandé à Cambrai par le . comte de Fuentès, tombe dans une embuscade et est pris. Le roi Henri IV, à Péronne, veut le voir et l’engage à se soumettre ; il lui fait offrir, par le comte de Nevers, l’abbaye de Saint-Corneille de Compiègne et 10 000 couronnes d’or comptant, s’il veut livrer Pierrefonds au roi. H. de Sauveulx refuse tout ; condamné à mort, il parvient à s’évader la veille de la Toussaint (1595), et se réfugie en Belgique. La place de Pierrefonds est alors ven- due par les troupes napolitaines 18 000 ducnts à Henri IV (2).

(1) Journal de J. Vaultier.

(2) Voici ce que dit le Journal de J. Vaultier à propos de cette reddition : « Le n dimanche 29 octobre 1595, M. d Estrée qui était audit siège de Pierrefonds et par » le moyen du seigneur de Poncenac, gouverneur de Soissons, qui commençait à » penser à sa conscience, ledit château de Pierrefonds lui fut rendu, moyennant

..,n,minirtiw"ÜL

PLAN DU CHATEAU DE PIERREFON DS (Rez-d e-chaussée) .

(/a

tMËk~ A

Pwu ËÊM

jjpgglM

'mm A ,

raP3(_^K -

llKJ jk

lAr H

c n - *p| i

:, | B R 1

2M0 R

A Cf Mfl rJm\i

Sim fey||S

wSm m i rmlt&Q

''^7*0'' r

W

vfl ' ^

VlJE CAVALIÈRE DU CHATEAU DE PIERREFONDS

(Côté d’eDtrée).

DU CHATEAU DE PIERREFONDS.

ûi

Voici la lettre du maréchal de Schomberg adressée au conne- table de Montmorency, au sujet de la reddition de Pierre- fonds :

« Pierrefonds a du reste composé et l’entente du Roy

» est que la place soit rasée ; Sa Majesté fait estât de passer son » hyver à Compiègne et pense meme qu’il y sera le premier » jour de l’an »

« 2 novembre 1595. »

Réfugié en Belgique, H. de Sauveulx fait valoir ses droits à une pension auprès de Philippe 111, en récompense des services rendus par lui à Sa Majesté Très-Catholique; il s’adresse aux «très -nobles et très-illustres consuls, échevins et sénat de » Bruxelles, par son représentant Remy Pavillon, docteur en » théologie, afin d’obtenir qu’une commission soit nommée, » laquelle, sur la déposition de plusieurs nobles français, réfu- » giés en Belgique, informe sur sa vie, ses mœurs, sa religion » et sa noblesse. Cette commission, composée d’un échevin et » des secrétaires de la ville de Bruxelles, entend les témoignages » de Mathias la Bruïère. propriétaire civil de Paris, réfugié » depuis cinq ans et demi ; de Michel de Blanon, seigneur tem- » porel de Charmes, réfugié, autrefois gouverneur de la ville » de Véli, pensionné de Sa Majesté Très-Catholique; de Jean » Seillier, receveur général des consignations de la ville de » Paris; de Jacques de Colas, comte de la Fère, sénéchal de o Montlimar ; de Mathieu de Lannoy, prêtre, docteur en théo-

» 3500 écus qui furent délivrés auxdits Espagnols, en sortant bagues et armes sauves, » et conduits en assurance jusqucs à La Fère, qui tenait encore pour eux. » Le rapprochement de ces dates, celle de la prise du château le 29 octobre et de la fuite de H. de Sauveulx le 31, ferait croire que le roi, une fois le château pris, laissa partir le moine au lieu de le faire pendre. Peut-être même l’élargissement du religieux fut-il une des conditions de la reddition du château, ce qui ferait honneur à la garnison wallonne.

DESCRIPTION ET HISTOIRE

42

» logie, chanoine de la cathédrale de Soissons; de Gaspard » Darloys, noble écuyer , pensionné par Sa Majesté Très- » Catholique; de Jacques deBrunaulieu, noble français, réfu- » gié pour la foi. » Sur les dépositions de ces personnages, et d’après un mémoire et une relation dressés, est remise une consultation de sept avocats et neuf théologiens, appuyant les prétentions de H. de Sauveulx, sont rendus divers arrêts royaux, un avis du conseil des finances, etc. (1). H. de Sauveulx passa cinq ans en Belgique au service du roi d’Espagne. Les témoins interrogés à Bruxelles en juin 1600, plusieurs gens guerre, tous intéressés aux événements, ne font néanmoins nulle mention de la remise de Pierrefonds aux gens du roi de France, par suite de la trahison des Napolitains, Seul, un se- cond document en parle à Madrid, et il est rédigé sous l’inspi- ration.de H. de Sauveulx, mais pas avant le 15 janvier 1600. Il semblerait donc que la place de Pierrefonds demeura cinq ans aux mains des gens du roi d’Espagne ; toutefois les docu- ments français détruisent cette conjecture.

La consultation des sept avocats et des neuf théologiens com- prise dans le deuxième document déclare que le roi d’Espagne devait indemniser en conscience le sieur H. de Sauveulx, parce que celui-ci avait perdu une valeur de 300 000 ducats en four- nitures de vivres, de munitions et armes, en meubles, joyaux, bénéfices, offices et ventes. Le château seul de Pierrefonds lui valait 10 000 ducats de rente annuelle, car, dit le document, « c’était une place de telle force et importance, que la charge » de gouverneur de Pierrefonds fut achetée pendant la Ligue » 32 000 ducats d’or. » H. de Sauveulx fut nommé en 1601 capellan des asiento , chapelain en titre de Castille, aux hono-

(1) Tous ces documents sont déposés en originaux dans les archives de 1 hôpital de Saint- Louis-des-Français, à Madrid.

DU CHATEAU DE PIERREFONDS.

A3

raires de 40 ducats par an. Le 8 février 1596 (étant encore en Belgique), il fut nommé prieur de l’armée aux gages de 1200 ducats par an.

La même année, on lui fit en Flandre 40 écus de recette par mois. En septembre 1600, on lui donna à Madrid 480 sous de pension ecclésiastique annuelle, etc., etc.

H. de Sauveulx mourut dans cette ville en septembre 1 683.

Quant à la garnison des vieux ligueurs, compagnons de Bieux, elle finit misérablement. Le journal de J. Vaultier signale d’abord, à la date du 25 novembre 1594, huit d’entre eux qui furent pris à Saint-Germain en Laye « et furent pen- » dus tout à l’instant, armés et bottés, qui étoient venus » pour faire quelques bons prisonniers qu’ils eussent menés » dans leur forteresse.... » Puis à la date du 14 octobre 1 595, il ajoute : « Furent encore pendus en cette ville (de Senlis), » sept voleurs de Pierrefonds, pris çà et là, pour ce qu’ils ne » faisaient plus leurs retraites, attendu qu’il étoit assiégé, et, » depuis iceux, il en fut exécuté quelque quatre-vingts, tant » en cette ville que à Compiègne. »

La place de Pierrefonds était devenue si redoutable pour tous les environs et jusqu’aux portes de Paris, qu'après la remise du château aux gens du roi de France, le prévôt des marchands et les échevins de Paris adressèrent, le 6 novem- bre 1595, une circulaire ainsi conçue aux notables des villes de Compiègne, de Crespy et de Meaux (1).

« Messieurs, vous avez entendu la reprise du château de » Pierrefonds et sçavez combien ceste place a apporté d’in- » commodité tant à ceste ville que aultres, et pour mettre fin

(4) Ce document indique clairement qu’au moment de la fuite de H. de Sauveulx en l'elgique, la place avait été rendue au roi Henri IV par la garnison napolitaine.

RESORPTION ET HISTOIRE

nn

» il pareils accidens nous sommes requis de plusieurs por- » sonnes supplier le roy ladicte place estre desmolie et razée, » et prévoyons qu’il y pourra avoir quelque empeschement, » et d’aultant que ceste affaire vous importe, nous vous prions » voulloir depputer quelques uns des vostres pour nous venir » trouver et adviser ensemblement les moyens pour faire trou- » ver bon à Sa Majesté la démolition de ladicte place, priant » Dieu, messieurs, vous donner ce que vous désirez.

» A Paris, au bureau de la ville, le 16 novembre 1595.

» Le prévost des marchands et eschevins de la ville de » Paris (1). »

Nous n’avons pu découvrir si la démarche fut faite auprès de Henri IY : mais ce qui est certain, c’est que le roi ne fit pas démolir le château, qu’il le considéra comme une des rési- dences royales les plus importantes, et qu’il en fit peindre le plan et la vue extérieure dans la galerie des Cerfs à Fontaine- bleau .

En 1616, le marquis de Cœuvre, capitaine de Pierrefonds, ayant embrassé le parti des mécontents, le conseil du roi dé- cida que la place serait assiégée par le comte d’Angoulême gouverneur de Compiègne. Cette fois, elle fut attaquée avec méthode et en profitant de la disposition des collines environ- nantes. Des batteries, protégées par de bons épaulements qui existent encore, furent élevées sur la crête de la demi-lune de coteaux qui entourent le promontoire en partant de sa jonction avec le plateau, et sur un petit monticule s’avançant dans le vallon du côté sud-est. Les ouvrages avancés ayant été écrasés de feux, furent abandonnés par les assiégés ; le comte d’Angoulème s’en empara aussitôt, y établit des pièces

(1) Cette curieuse pièce nous a été communiquée par M. le marquis L. de Laborde, directeur général des Archives de l’Enijire*

DU CHATEAU DE PIERRKFONDS.

kb

rie gros calibre, et, sans laisser le temps à la garnison de se reconnaître, ouvrit contre les grosses tours du donjon, la cour- tine sud, la poterne T et les trois tours d’Artus, d’Alexandre et de Judas Macchabée, un feu terrible qui dura deux jours sans relâche (1). A la fin du second jour, le 1er avril, une des grosses tours du donjon s’écroula, entraînant dans sa chute une partie des courtines environnantes. Le capitaine Villeneuve, qui com- mandait pour le marquis, s’empressa dès lors de capituler ; la place fut évacuée le 2. Ce fut un an après que le conseil du roi Louis XIII, alors âgé de quinze ans, fit entièrement démanteler le château. Voici la lettre du roi au comte d’Angoulême, gou- verneur de Compïègne; écrite le 1(5 mai 1617, reçue le 19 et enregistrée le 22 :

« Mon cousin, ayant encores depuis quelques jours consi- » déré combien il estoit utile pour le bon repos et tranquillité » de mes subjects de la province de l’Ile-de-France que, con- » formément à ma première intention, le chasteau de Pierre- » fonds feust démolis, et m’estant en mesme tems souvenu » que je vous avois envoyé mes lettres patentes pour ce faire, » j’ay estimé qu’il estoit raisonnable, trouvant le premier >■ juste et nécessaire, de vous en adresser le second comman- » dement et de vous depescher ce porteur exprès pour vous » rendre ceste-cy et par le mesme vous asseurer de la conti- » nuation de ma bonne volonté et que je suis très-certain, » puisque c’est chose que je désire, que en toute diligence et » sans aucun délay vous ferez parachever la démolition dudit » chasteau, et je prie Dieu vous avoir, mon cousin, en sa sainte » et digne garde.

» Écrit à Paris, le 16 mav 1617 (2). »

(1) Les boulets de fer trouvés dans les déblais pèsent 32 livres.

(2) Renseignements communiqués par M. Pélassy de l’Oulle, bibliothécaire du château impérial de Compiègue.

DESCRIPTION ET HISTOIRE

/if)

Le comte d’Angoulème exécuta dès lors les ordres du roi. On fit sauter les deux grosses tours par la mine ; les logements furent détruits, les planchers et charpentes brûlés, les tours et courtines du nord éventrées à la sape, parce que de ce côté le voisinage immédiat du village ne permettait pas d’employer la mine.

Pendant la Révolution le château de Pierrefonds, dont les ruines dépendaient toujours du domaine de la Couronne, fut vendu comme bien national. En 181o, l’Empereur Napoléon 1er racheta le château 2700 fr. et le fit rentrer ainsi dans les dé- pendances de la forêt de Compiègne.

Depuis le commencement de l’année 1858, des travaux considérables de déblayement, puis de restauration, ont été entrepris au château de Pierrefonds, par ordre de l’Empereur Napoléon 111 et, en très-grande partie, à l’aide de crédits ouverts sur la cassette particulière de Sa Majesté.

L’Empereur a reconnu l’importance des ruines de Pierre- fonds au point de vue de l’histoire et de l’art. Le donjon, le château et toutes les défenses extérieures ont repris leur aspect primitif ; ainsi pourrons-nous voir bientôt le plus beau spéci- men de l’architecture féodale du xve siècle en France renaître par la volonté auguste du Souverain. Nous n’avons que trop de ruines dans notre pays, et les ruines, si pittoresques qu’elles soient, ne donnent guère l’idée de ce qu’étaient ces habitations des grands seigneurs les plus éclairés du moyen âge, amis des arts et des lettres, possesseurs de richesses immenses. Le châ- teau de Pierrefonds, rétabli en totalité, fera connaître cet art à la fois civil et militaire qui, de Charles Y à Louis XI, était supérieur à tout ce que l’on faisait alors en Europe. C’est dans l’art féodal du xve siècle en France, développé sous l’inspiration des Valois, que l’on trouve en germe toutes les splendeurs de

DU CHATEAU DE PlEKIlEFONDS.

!i1

ïiotre Renaissance, bien plus que dans l imitation des arts italiens.

L’Empereur a voulu que la précieuse collection d’armes formée par ses soins fût déposée dans le château de Pierre- fonds restauré. Elle occupe la grand’salle tout entière, qui n’a pas moins de 52 mètres de long sur 9m,50 de largeur, ainsi (jue le vestibule qui la précède et des pièces voisines. Indépen- damment des appartements réservés à l’habitation, ce château renfermera un des plus beaux musées de l’Europe.

La collection ues armes comprend : des armures complètes, dont les plus anciennes datent du milieu du xv° siècle; une suite de pièces d’armures de la plus grande rareté et parmi lesquelles on peut signaler des œuvres d’art merveilleuses; une réunion d’armes de main, de trait et à feu comme il n’en existe dans aucune collection.

Dans les salles basses, à rez-de-chaussée, doivent être classés les fragments de sculpture trouvés dans les fouilles et qui ont servi à la restauration, ainsi au’ un grand nombre d’objets in- téressants recueillis dans les aecombres.

La restauration du château de Pierrefonds terminée aura coûté cinq millions, pris pour les trois quarts environ sur la cassette particulière de l’Empereur, et pour un quart sur les crédits affectés à la restauration des monuments historiques.

Un seul inspecteur résident et dont on ne saurait trop louer le dévouement et le mérite, M. Wyganowski, a suivi seul l’en- treprise depuis le commencement des travaux, lesquels ont été exécutés, pour la maçonnerie, par MM. Milon, Sauvage et Mozet; pour la charpente, par M. Desmazures; pour la serru- rerie, par M. Lachambre ; pour la sculpture d’ornement, par l’atelier de M. Perrin ; pour la couverture et plomberie, par MM. Monduit et Béchet; pour la menuiserie, par M. Rousin;

48 DESCRIPTION ET HISTOIRE DU CHATEAU DE PIERREFONDS.

pour la fumisterie, par MM. Spaletta et Primi ; pour la pein- ture décorative, par M. Nicolle ; pour la vitrerie, par M. Denis, et pour la sculpture sur bois, par MM. Corbon et Zoëgger. M. Gaudran a exécuté sur place tous les travaux de statuaire. La statue équestre, en bronze, placée devant le grand perron du château et donnée par le ministère des beaux-arts, est due au talent bien connu de M. Frémiet; cette statue présente, avec une fidélité scrupuleuse, l'équipement, ce qu’on appelait alors X adoubement, d’un seigneur armé en guerre et prêt, à

CHATEAU DE PIERREFONDS

Grande litre de l'une des salles. Composition peinte, représentant les différentes scènes de l’existence d'iin seigneur du moyen âge.

lir'

Donjon

premier étage.

Boiserie sculptée de la grande salle.

CHATEAU DE PIERREFONDS

CHATEAU DE P1ERREF0NDS

Compositions et Dessins de Viollet-le-Duc, publiés sous le patronage du

Comité de l’oeuvre du maître.

L’ouvrage se compose de 100 planches imprimées en'chromolithogra- phie, en héliogravure, en taille-douce et en typographie. Il a été publié en 10 livraisons de 10 planches.

Édition format quart grand tiiglfe (0m,36 sur 0m,51), avec portrait de Viollel-lo-Du J et titre spécial nu nom du souscripteur.

Prix de la livraison 12 fr. 50

[/ouvrage complet 125 fr.

Dictionnaire raisonné do l'Architecture française, du Xl« au XVI® siècle,

par VrOLLBT-LE-DüC.

10 volumes in-S°, dont un de tables, illustrés de 3,745 gravures sur bois et du portrait de l’auteur, gravé par Massard.

Prix, brochés 300 fr.

Édition sur Hollande, numérotée de 1 à 100 600 fr. - *

Dictionnaire raisonné du Mobilier français^ de l’époque carlovingienne à la Renaissance, par Viollet- le-Duc. ?j|P 1er et 2e volumes. Meubles, ustensiles, orfèvrerie, instruments de musique, jeux et passe-temps, outils.

et 4e volumes. Vêtements, bijouxide corps, objets de toilette.

5e et volumes. Armes offensives et défensives.

6 volumes in-8°, comprenant : 2,958*pages de texte, 2,024 gravures sur bois dans le texte, 20 gravures siy acier. 58 gravures tirées hors texte et 43 chromolithographies.

Prix , broché » 300 fr. » »

Édition sur Hollande, numérotée-de 1 a iOO 600 fr. *

Cité (la) de Carcassonne (Aude), par Viollet-le-Duc.

Une brochure iri-8® de 90 pages, illustrée de 16 vignettes sur bois Prix 2 fr. »

Description du ch&teau de Coucy, par Viollet le Duc. (Nouvelle édition.

entièrement refondue.)

'

‘"usirée de vignettes gravées sur bois.

ArtBF.VIIlf. TVP. «T ST* R. A. RETAUX.

1 fr.

1